Prologue

Jean Marvaud

Avec Enfances, la collection « Champs du corps », lieu d’échanges et de réflexion, propose de la curiosité, donne de l’appétit avec une grande liberté, celle existant entre théorie et clinique.

« Lorsque l’enfant paraît… »
Les textes de cet ouvrage font une référence directe ou implicite au questionnement sur la relaxation, l’enfant, l’infantile. Ils se mêlent, s’entrecroisent, se séparent, se rapprochent et tentent de répondre.
Si la relaxation a pour fondement l’attention portée au corps, qu’en est-il avec l’enfant ? Le corps pourra-t-il traduire, exprimer ce que la parole ne peut atteindre ?
Ces textes auraient pu prendre le risque de la répétition d’écrits existant ailleurs, ou celui de l’assimilation d’articles, ou surtout celui de l’imitation transposée de la relaxation de l’adulte, nous aurions alors parlé de relaxation chez l’enfant.
La relaxation de l’enfant a ses spécificités. Si la base théorique est psychanalytique, les fondements nécessaires s’adaptent à chaque rencontre qui demeure unique. Plusieurs méthodes existent. Il y a des différences dans les techniques, mais elles se rejoignent dans leurs aspects théoriques.
La relaxation de l’enfant inclut dans sa pratique et comprend dans sa théorie le jeu, le dessin, équivalents des associations de l’adulte. Ils traduisent et enrichissent le vécu des sensations qui, elles-mêmes, peuvent être « jeu ». Son cadre spécifique est lié au transfert où entrent le « corps à corps » et le jeu des deux partenaires, celui de l’enfant et celui du thérapeute. Le corps est sans cesse engagé. L’activité fantasmatique passe par le corps et  reprend  l’image du corps dans cette relation.
La relaxation de l’enfant met en évidence les liens aux premiers objets de dépendance, aide à l’établissement de la construction de l’identité de l’enfant (relation objectale, ambivalence des sentiments, développement libidinal et ses phases, identification et construction du moi). Elle permet de rejouer les phases très archaïques du développement.

Dans une première réflexion, on pourrait penser que ce volume fait indirectement un bilan de ce  que la relaxation psychanalytique apporte à la connaissance de l’enfant et qu’il invite à feuilleter, commenter, développer même, le classeur déjà chargé des problèmes spécifiques (théoriques, cliniques, techniques) que pose sa pratique.
Cet ouvrage évite d’aborder ces aspects de manière répétitive et offre d’autres ouvertures à découvrir. Nous voulons, en effet, inviter le thérapeute  à des interrogations plus radicales et l’engager à réfléchir soit à ce que la relaxation psychanalytique peut apporter directement à l’enfant, soit à mieux se rendre compte qu’il fait référence dans ses thérapies de relaxation de l’adulte, à l’enfant et à l’infantile et qu’il le recherche souvent.

Avec le premier texte « De l’enfant à l’infantile », nous sommes au cœur de cette interrogation nécessaire. La relaxation nous montre, ici, dans son principe même, dans la théorie comme dans la pratique que l’adulte est de part en part modelé par les conflits, les traumatismes, les fantasmes, les désirs de l’enfant. Le réveil de l’infantile s’exprime dans la mémoire du corps.
Quelques lignes des « Confessions » de Rousseau nous offre également ce que le thérapeute peut rechercher : la détresse et la jouissance de l’enfant dans la plainte de son patient adulte.
Il était une fois… Nous passons un moment savoureux avec « Gouts d’enfance », ramenés dans la cuisine des femmes nourricières de notre enfance, dans ce qui, pour chacun de nous, a fait trace. Remonte-t-on à la source avec ces gourmandises dans l’écriture, le texte, les souvenirs et la théorisation ? Mouvement séparant l’enfant du sein de la mère…
Nous sommes transportés ensuite avec « D’enfance et d’ailleurs » sur une route inhabituelle où la pensée libérée nous emporte « dans tous les sens » et nous invite à une envolée sensorielle, une mise en éveil de nos sens à chaque ligne. Nos impressions ont-elles le tournis ? L’œil entend, le regard écoute, les odeurs pensent et teintent nos histoires, la peau perçoit.
Puis vient « Un match superbe » : Quel tempo transférentiel ! Quel jeu sportif et enjeu psychanalytique ! Dans ce match (ou ces divers matchs) nous sommes confrontés à différentes parties où nous assistons à la reconnaissance du corps propre qui interroge l’histoire de cet enfant et qui participe à la reviviscence de l’affect… Qui sera vainqueur ? La créativité de cet enfant.

Le court fragment de « Gricha » d’A. Tchekhov met le corps en scène, expression communicative du visage et des mains chez un petit garçon.
« Du plus loin qu’il m’en souvienne » commence « Chaud-froid ». Sensation d’enfance, réminiscence ? L’auteur analyse ce souvenir ancien, trompeur, dans la chaleur ou l’ombre et sa fraicheur, dans la richesse de la vérité recherchée et trouvée. Qu’est-ce qui le brûle ? Le soleil de son enfance ou la pulsion inconsciente ? Ah, cet infantile toujours évoqué, toujours retrouvé, toujours présent en chacun de nous !
Petite pause avec « La sieste d’été ». Laissons-nous emporter par cet état modifié de conscience d’un enfant confrontée à la demande maternelle de la sieste obligatoire s’inscrivant dans le cadre affectif. Fluctuations de la lumière, du bruit, des souvenirs, des images, des rêveries… Souvenir ou nostalgie ?
« La séparation » offre, avec  la clinique d’un cas de trichotillomanie, les questions transgénérationnelles de séparation d’un garçon et  de sa mère dans le jeu des transferts. Avec cette observation, nous passons du corps comme obstacle à la pensée à l’exigence de la pensée permettant que le corps existe en dehors du symptôme.
Dans ces quelques lignes de « Romans et nouvelles »,  S. Zweig nous décrit le paradoxe de sa vie : la lutte de l’enfant qui grandit, prisonnier de son absence de liberté, prêt à affronter un monde inconnu et le franchissement de l’interdit. Remords ou regret ?
Avec  « l’enfant et la relaxation thérapeutique, méthode J..Bergès », il nous est clairement montré que c’est l’enfant qui sait (et personne d‘autre). L’enfant est « réceptacle de la parole et du langage » qui fait tiers et qui, avec le toucher, apporte des signifiants « qui viennent s’accrocher au corps ». Le corps va pouvoir accepter la séparation qui ouvre la voie à la pensée.
« Sensations d’enfance » est une courte vignette clinique  dans laquelle nous est offert un intense moment de régression vécu par une patiente où apparaissent différents moments sensoriels habillant définitivement l’objet transitionnel puis le souvenir brutal d’une scène non entendue et non comprise par ses parents.
Le texte « Sur les traces de l’infantile… pour devenir grand » est l’aventure d’un groupe d’adolescents. Dans ce travail, affleurent des concepts freudiens (régression, répétition, refoulement, transfert) qui permettent de comprendre la survie de l’enfant chez ces adolescents avec des avancées, des reculs. Les affects  de l’origine ressortent des recoins d’une mémoire pré-langagière.
Un passage des « Confessions de Saint Augustin » nous montre l’enfant-roi qu’il observait chez des enfants, ce qui lui révélait, plus que ses parents ne l’avaient fait, l’enfant tout puissant qu’il avait été.
« Une histoire de pêche ». Avec cet écrit, étonnant, non classique dans son déroulement et dans sa construction, nous participons à la pêche des phases de cette histoire. Cela nous permet de suivre l’adaptation du thérapeute à cet adolescent  submergé par sa situation œdipienne, confronté aux conduites inadaptées de ses parents et à l’accordage de ce thérapeute avec la grande fragilité de la « puissance » de cet adolescent.
Nous terminons sur une note récréative avec « La phobie mène-t-elle au génie ? ». Un clin d’œil à J.H. Schultz ne peut faire oublier les interrogations que se pose cette mère face à ce qui, pour elle, est pathologique, source d’inquiétude, sans solution et qui n’efface pas le questionnement sur l’épanouissement du génie..

Ces différents textes théorico-cliniques, dans leurs variétés, montrent que les auteurs se retrouvent, dans leur clinique libérée, avec des points théoriques assez voisins. Bien évidemment, si leurs chemins sont variés autant dans leur inspiration, leurs réflexions que dans leur parcours,  ils les amènent et ils nous transportent vers des conceptions et des aboutissements assez voisins. Cette convergence de vues est agrémentée par les souvenirs, les vignettes, les ponctuations littéraires et les pauses récréatives des autres auteurs.
Un autre point important se dégage de cet ouvrage. Dans les cas cliniques décrits et les cures de relaxation psychanalytique, les thérapeutes n’observent pas les enfants ou les adolescents. Ils n’interprètent pas non plus. Par contre, ils laissent venir le sens, l’étonnement, le non-sens même. La manière de les accueillir, de les accepter et de continuer le travail engagé avec ces enfants et adolescents, est l’équivalent de l’interprétation. C’est la manière de répondre à tout ce matériel qui est offert au fil des séances. C’est la richesse de cette relaxation de l’enfant car elle est avec l’enfant.

« Lorsque l’enfant paraît… ». Il n’en finit pas de paraître.